fashionably late | Harry

Agnes est stressée, un comble pour une situation qu’elle a crée elle-même en choisissant d’interpréter un rôle en dehors de sa zone de confort. C’est donc pour cette raison qu’elle a réservé une salle de répétition pour se préparer au rôle de Satine et ne pas casser les oreilles des voisins avec ses tentatives de Belt plutôt compliquées. Seulement, comme à chaque fois, les éléments se déchainent et la district line refuse de l’emmener à sa destination stoppant irrémédiablement à Earl’s court pour un changement qui ajoute une bonne quinzaine de minute à son itinéraire. Lorsque le fichu train pour Edgware Road la dépose à sa destination, Agnes est déjà en retard de sept minutes ce qui le don d’agiter ses nerfs de la pire des manières. Elle presse donc le pas et s’excuse platement auprès des gérants qui ont par chance gardé la salle libre malgré tout. Lorsqu’elle descend pour trouver sa salle, le son d’un piano lui indique pourtant que la personne précédente compte bien profiter de manque de ponctualité pour s’offrir quelques minutes de pratique supplémentaire. Avec son emploi du temps serré, Agnes ne peut pas vraiment se permettre d’attendre que le talentueux pianiste daigne sortir, alors avec autant de délicatesse que faire se peu, elle frappe quelques coup contre la porte pour signaler sa présence. Lorsqu’elle se retrouve face au pianiste, Agnes vacille et son coeur loupe un battement. Elle cligne des yeux, mais force est d’admettre qu’elle reconnaitrait ces yeux noisettes entre tous.

- Dreamer ? Elle balbutie avant de realiser que les petits surnoms affectifs ne sont sûrement plus à l’ordre du jour et que ses vielles habitudes lui jouent des tours. Elle grimace légèrement et se demande comment le destin se permet l’affront de les réunir avant qu’elle n’y soit préparée. Cheveux attachés en une longue queue de cheval et habits comfortables, ce n’est pas vraiment ce qu’elle avait en tête pour son premier face à face avec son ancien fiancé toujours effortlessly elegant avec ses lunettes de professeur et son pull de bibliothécaire des années cinquante. Agnes prend une inspiration et transforme sa grimace en un sourire gênant. Comme on se retrouve…

Elle hausse les épaules, sa petite blague n’ayant de drôle que l’intention qu’elle lui a donné initialement. La voilà dans de beaux draps maintenant, elle ne pourrait pas se comporter de façon plus gênante et le pire dans tout cela c'est qu'elle en a parfaitement conscience.

Londres est apaisante. Chacun de ses recoins familiers rappelle à Harry des souvenirs de son enfance, de son adolescence, des moments amusants, emplis d’émotion. Depuis son exil à New-York, il pense de manière nostalgique à sa ville natale, et y être rentré désormais a quelque chose d’apaisant. Il se sent chez lui, plus sans doute que n’importe où ailleurs. Les années passées à New-York - plus de dix - ne lui ont pas permis de se sentir réellement chez lui, un peu par sa faute, à lui et à sa mauvaise foi bornée. Toutes les journées, depuis son retour, se suivent et se ressemblent, même depuis qu’il a reçu cet appel de son agent lui indiquant qu’il venait de décrocher le rôle de ses rêves. Harry se lève relativement tard, le simple fait de s’extirper de son lit avant neuf heures suffisant à lui faire passer une mauvaise journée. Il prend son petit déjeuner, un café, un thé, compose un peu, fait quelques courses quand c’est nécessaire, cuisine son déjeuner, puis file au petit studio de répétition. Il y loue une pièce à l’heure, avec un piano, soit pour composer - avec un instrument cette fois, impossible d’acheter un piano et même s’il pouvait se le permettre, l’instrument ne rentrerait pas dans son petit appartement d’Earl’s Court - soit pour donner des cours de chant ou de piano à des élèves qu’il a réussi à appâter grâce à une de ses amies qui lui fait de la pub sur internet. Il a réussi à gagner sa vie comme ça ces dernières semaines, pas de manière extraordinaire, mais suffisamment pour vivre en attendant. En attendant Phantom, le début. Ses débuts. Il a encore du mal à y croire, et y penser n’y change rien. Lui, Harry, dévoré par la frustration un an auparavant, à quarante ans, va faire ses débuts sur les planches du West End. Directement as a dream role. Il a fallu de nombreux réveils pour qu’il finisse par se convaincre que ça allait bien se produire - même encore aujourd’hui, il est obligé de vérifier qu’il a bien signé un contrat quand il se réveille certains matins en ayant l’impression d’avoir rêvé.

Ce jour-là, il a loué la salle trois heures d’affilée - deux heures de cours de chant, une heure de piano pour lui. Il peut se le permettre. Les élèves défilent, et le voilà seul à son piano qui joue puis chantonne, et joue encore. La nostalgie qu’il ressent en permanence le pousse doucement mais surement vers des mélodies aux notes chantantes et émues. Il travaille un peu Music of the Night, le plus gros challenge du Musical sans doute pour lui. Il ne regarde pas le temps qui file sur l’horloge, répète quelques accords, soudainement interrompu par quelqu’un qui frappe contre la porte de la salle et fait irruption dans ses rêves.

Agnes.

Il s’arrête, violemment, et cligne des yeux pour dévisager la rousse qui se tient dans l’encadrement de la porte. Les cheveux attachés, au naturel, mais toujours aussi belle. Elle n’a pour ainsi dire pas changé, au fil des années. Lui semble plus vieux que lorsqu’ils se sont rencontrés, mais Agnes est gratifiées d’une jeunesse qui parait éternelle. Son coeur s’agite et sa gorge se serre à la vision de sa fiancée - well, ex-fiancée. Par sa faute, d’ailleurs. C’est lui qui est parti. Agnes devrait être à New-York, d’ailleurs - que fait-elle là ? Il poserait bien la question, mais une petite voix lui souffle que cette entrée en matière serait délibérément brutale et qu’il vaut mieux réserver les interrogations pour plus tard. Il jette un oeil à l’horloge pour fuir les yeux d’Agnes quand elle emploie son surnom, un surnom affectueux, amoureux, qui contraste violemment avec leur dernière conversation, celle qu’il a décidé de prendre au pied levé en quittant New-York du jour au lendemain, avec ses économies dispersées dans un billet d’avion hors de prix. Depuis, il n’a pas vraiment eu de nouvelles - quelques unes par instagram ou les comptes fan d’Agnes qui ne manquent pas, mais rien de plus.

- Effectivement, il répond en hochant la tête. Il rassemble nerveusement les partitions devant lui pour les ranger - en vrac - dans leur pochette, troublé par la présence de la rousse. Penser qu’elle est là par hasard est presque ridicule, mais en même temps, il ne voit pas comment elle aurait pu le trouver précisément ici. C’est toi qui a réservé la salle ? J’ai dépassé, désolé. Je ne savais pas que tu étais là.

Il bafouille un peu, s’exprime comme s’il était absolument normal qu’Agnes, américaine, résidant à New-York, soit ici, dans une salle de répétition du fond de Londres, à quelques minutes à pied d’un appartement qu’il loue sans qu’elle le sache et à une adresse qu’elle ne connait pas, trop troublé par la valse des sentiments qui s’orchestre à l’intérieur de son crâne à la seule vision de l’amour de sa vie, dont il pensait naïvement être guéri.

- Je te laisse la salle, bien sûr, il réplique, en se levant, toujours aussi maladroit et mal à l’aise, la moitié des feuilles de musique qui s’échappent de sa pochette mal fermée. Merde, il ajoute, agacé par son attitude générale gênante et gênée. Il a quarante ans, bon sang, pas quinze - et en cet instant, il se sent comme un adolescent éconduit, ou pire, pris en faute.

Il songe un instant à abandonner ici les feuilles, avec sa dignité, son amour propre et tout le reste, pour fuir - encore - et ne plus jamais revenir. Mais il se raisonne, et se penche pour ramasser, un peu honteux, sous le regard d’Agnes, toujours dans l’encadrement de la porte.

La comédienne est dans l’embarras et ses joues rosées par la rencontre improbable qu’elle vient de faire n’arrangent rien à la gêne qui s’est installée après son amorce maladroite. Les choses ne se déroulent pas comme elle les avait prévues et cette réalisation l’irrite autant qu’elle lui complique la tâche. Un simple regard échangé avec son ex fiancé et son coeur se met à battre de plus belle. Harry n’a pas changé évidemment et les sentiments d’Agnes non plus malgré leurs récentes disputes et le sentiment d’impasse qui les ont menés à se séparer. Le retrouver ici dans cette petite salle de répétition ou elle ne l’attendait pas ravive des émotions difficiles et il faut quelques minutes à Agnes pour réussir à reprendre le contrôle d’elle-même. Alors qu’il s’excuse de ne pas avoir vu l’heure défiler, Agnes s’adoucit et tente l’humour à nouveau, plus par nervosité que jovialité en réalité.

- Probablement parce que je n’étais pas là justement. J’étais bloquée à Earl’s Court. J’aurais dû partir avant, mais tu me connais…

Ses yeux se posent de nouveau sur le britannique bien malgré elle et elle ne peut pas s’empêcher de repenser à toutes les soirées qu’elle a pu passer blottie contre le vieux pull qu’il porte encore aujourd’hui et qui lui a valu tellement de blagues au cours des années. Elle se retient de faire le commentaire et le fixe alors qu’il tente d’ordonner sa musique qui atterrit en moins de temps qu’il en faut pour le dire sur le sol. Agnes s’accroupit pour l’aider et lui passe les feuilles manquantes pour les remettre dans l’ordre. Fidèle à elle même elle finit par lui dire affectueusement.

- Tu devrais les scotcher ensemble, ça t’éviterait ce problème

Agnes avait pour habitude de le faire pour lui, parfois agacée par sa musique qui trainait un peu partout dans la maison. Aujourd’hui, les petites feuilles éparpillées sur la table du salon lui manqueraient presque.

- Music of the night ?

Elle demande intriguée en reconnaissant la partition. Harry a toujours aimé cette chanson, mais les annotation diverses et variées l’interpellent.

Harry retient presque un sourire quand Agnes confesse être restée bloquée à Earl’s Court. Une espèce de malédiction, semble-t-il. Still, quelles sont les chances pour que son ex-fiancée américaine loue une salle de répétition dans le même studio que lui, le même jour, pour l’heure d’après ? Un détail lui échappe mais Harry est trop surpris pour réfléchir convenablement. Il se contente de laisser s’échapper toutes les feuilles de musique en sa possession sur le sol, et évidemment, Agnes s’approche pour l’aider à ramasser, non sans lui glisser un conseil au passage. Il a essayé, à de nombreuses reprises, de coller les pages ensemble avec du scotch comme elle le faisait pour lui lorsqu’ils étaient ensemble. Il doit être stupide, car il n’a jamais réussi à le faire convenablement. Les pages deviennent impossibles à manier, ou alors ne sont pas suffisamment rapprochées, elles sont scotchées dans le mauvais ordre ou il se retrouve avec dix kilomètres de feuilles enchaînées qu’il n’arrive plus à manipuler. Depuis son retour à Londres, Harry a dû apprendre à composer avec le fait que tout ce qui pouvait sembler simple lorsqu’Agnes était là pour l’aider paraissait désormais insurmontable.

- Je sais, il répond, machinalement, prenant le conseil comme il l’est parce que le ton d’Agnes lui parait affectueux, et ne sonne pas vraiment comme un reproche. Je n’ai pas trouvé le temps, et puis, c’est moins grave si les feuilles sont dispersées partout.

Il habite seul, sa musique ne dérange que lui - et ne dérange donc en réalité personne. Cela dit, c’est un mensonge, pour éviter de reconnaître que malgré ses velléités d’indépendance financière, Harry ne parvient pas totalement à se débrouiller tout seul.

Evidemment, l’oeil expert d’Agnes est attiré par le titre ou les paroles de la chanson qu’Harry travaille - Music of the night, ce n’est pas si commun. Il pourrait prétendre qu’il révise ça avec un de ses élèves qui travaille la chanson, mais il n’a pas envie de mentir. En réalité, depuis qu’il a appris qu’il avait été retenu pour le rôle d’Erik, Harry meurt d’envie de partager cette information avec Agnes. Ils ne s’adressaient plus vraiment la parole, il aurait été étrange de lui adresser un message en rompant une des clauses de confidentialité du contrat qu’il a justement signé, mais maintenant qu’elle est en face de lui et qu’elle a vu les feuilles, mentir semble vain.

- Oui, Music of the Night, il répond en acquiesçant. Je répète, il ajoute, en prenant des pincettes, sans savoir quelle posture adopter face à cette nouvelle qui a complètement chamboulé sa vie. Quand je suis rentré, quelques semaines plus tard, ils passaient les castings pour le renouvellement du cast ici, à Londres. J’y suis allé, il explique, en triturant nerveusement le coin des pages qu’il vient de regrouper entre ses bras. J’ai été choisi.

Il rougit un peu, sans doute ; la nouvelle est difficile à croire pour lui, elle doit l’être pour les autres évidemment, mais l’annoncer lui donne l’impression qu’il est en train de se vanter - ou pire, de se porter malchance.

- C’est confidentiel pour l’instant, évidemment, mais je serai le Phantom dans quelques semaines.

L’information le fait trembler légèrement, comme s’il se l’apprenait à lui-même - en tout cas, le formaliser à voix haute rend définitivement les choses plus réelles, c’est certain.

- Qu’est-ce que tu fais à Londres ? s’autorise-t-il enfin à demander, sans la lâcher des yeux.

Agnes s’assombrit lorsqu’il lui rappelle qu’elle n’est plus là pour se plaindre de sa musique qui traîne partout. D’ailleurs elle baisse la tête, un peu honteuse des mots durs qui ont souvent échappé ses lèvres alors qu’elle était excédée et principalement bloquée par une situation à laquelle elle ne peut pas grand chose, encore aujourd’hui. Elle préférerait pourtant la vision rassurante des feuilles mal attachées à celle de son appartement froid mais bien décoré dans les beaux quartiers de la ville, sans Harry, son âme soeur. Un simple regard en sa direction lui rappelle douloureusement à quel point elle peut l’aimer malgré les disputes et impasses. Son coeur voudrait le lui crier, mais ce n’est ni le moment ni l’endroit. Alors elle lui sourit tristement et lui répond plus sobrement :

- Ce n’était pas bien grave avant non plus. C’était un prétexte comme un autre pour éviter les sujets qui fâchent vraiment ?

Avec le recul Agnes s’en rend bien compte, quelques feuilles qui traînent ne l’ont jamais dérangée plus que ça. Elle et Harry, malgré leur personnalité plutôt honnête ont pourtant trouvé le moyen de mettre la communication au placard. Pourquoi, Agnes n’en sait pas grand chose, sans doute parce qu’une conversation leur aurait fait comprendre bien avant leur séparation qu’il y avait certains point sur lesquels ils ne trouveraient jamais d’accord. Agnes chasse d’ailleurs cette pensée désagréable de son esprit. Harry lui manque, c’est bien tout ce qui compte aujourd’hui.

Harry lui annonce qu’il a été sélectionné pour incarner le Phantom et Agnes réagit vivement a cette nouvelle, authentiquement heureuse pour son ex fiancé dont elle connait évidemment les rêves et les ambitions.

- C’est génial, je n’arrive pas y croire, c’est… Je veux dire, bien sur que c’est logique tu seras parfait mais, wow c’est quelque chose ! Félicitations !!

Elle s’approche pour lui donner une accolade affectueuse, bien incapable de se montrer froide ou réservée face à cette nouvelle qui la réjouit sincèrement. Agnes ne saurait jouer le rôle de l’ex égoïste dans cette situation. S’il y a une qualité qu’on ne peut pas lui retirer c’est que l’épanouissement des gens qu’elle aime passe toujours avant ses propres prérogatives, c’est donc avec enthousiasme qu’elle accueille la nouvelle même si elle aurait aimé qu'une telle opportunité lui soit proposée à New York lorsqu'ils étaient ensemble.

- Tu as bien fait de chercher ici on dirait… Je suis ravie pour toi, et si tu as besoin de quoi que ce soit, tu sais que je suis là pour les répétitions, les conseils, je ne suis pas à mon premier coup d’essai avec ce show, n’hésite pas…

Surtout si c’est une occasion rêvée pour passer du temps ensemble. Agnes admet que c’est encore mieux si la situation sert leurs intérêts communs. Quand la conversation dérive sur elle, Agnes rougit légèrement. C’est une chose de vendre sa décision d’incarner Satine comme un nouveau challenge à relever aux autres, Harry et elle ont en revanche eu plusieurs fois l’occasion de parler de ses angoisses par rapport au belting et aux techniques vocales contemporaines.

- Confidentiel également, mais on m’a proposé le rôle de Satine, dans Moulin Rouge…

Agnes déteste mentir de la sorte, mais son égo assume peu les véritables raisons, qu’il lui est de toute façon impossible de dévoiler à Harry, en tout cas pas pour l’instant. Pour autant Agnes doute qu’il tombera dans le panneau bien longtemps, il la connait trop bien et même elle n’aura jamais la patience de continuer ce petit jeu bien longtemps.

Agnes lit entre les lignes de ses messages à peine subliminaux, et il ne peut pas dire qu’il soit vraiment surpris. Elle a toujours été assez douée pour comprendre ce qui pouvait bien lui passer par la tête - et il est vrai que sa dispersion, si elle a servi d’excuse à certaines de leurs disputes, n’a jamais fait partie des défauts qui agaçaient Agnes autant qu’elle aurait pu. Elle lui manque, c’est une certitude, et il voit bien à sa mine défaite qu’il lui manque également. Ce n’est pas un manque d’amour qui les a conduit à se séparer, et c’est sans doute précisément ce qui est le plus triste dans leur histoire. Il acquiesce pour partager son analyse, et ses yeux dérivent vers les feuilles précieusement regroupées entre ses bras. Il a envie de disparaître mais elle est devant la porte - et de toute façon, il n’a pas envie d’être malpoli non plus. Alors il l’observe quand elle sourit, heureuse pour lui et son annonce. La réalité prend vie sur les traits d’Agnes, et Harry réalise un peu plus encore que tout cela n’est pas un rêve. Elle s’approche pour l’étreindre et il pose un instant sa main dans son dos, respirant son parfum familier, si rassurant, entêtant. Il n’avait pas oublié l’odeur de ce parfum, qu’il affectionne toujours autant. Les yeux clos, il profite du contact et se ressaisit en secouant la tête lorsqu’elle s’écarte.

- Merci, c’est gentil. C’est effrayant, je dois bien l’admettre, mais depuis le temps que je casse les oreilles de tout le monde avec mes envies de casting, je suis bien mal placé pour me défiler...

Il tente un sourire ironique, sur le ton de l’humour, mais acquiesce quand elle propose son aide. Ce n’est sans doute pas l’idée du siècle. Il est parti, certes, un beau matin, en faisant ses valises pour retourner près des siens à Londres, laissant Agnes derrière lui malgré la douleur qui occupait son coeur. Cela étant, maintenant qu’elle est en face de lui, il se sait faible. Il serait tellement facile de céder à la tentation, de retrouver de vieilles habitudes, des gestes ancrés en lui, en eux. Ce n’est pas l’objectif, et il n’a pas non plus envie d’être irrespectueux.

- C’est gentil, je te dirai. Pour l’instant, il faut que j’apprenne toutes les paroles, il confesse, en soupirant légèrement. C’est là sa plus grande angoisse - oublier les mots. Et des mots, il y en a énormément à retenir, pour tenir toute une soirée.  Il a du mal à se dire qu’il fera l’affaire - et pourtant, il a été choisi.

Agnes lui annonce qu’elle est ici pour Moulin Rouge, et Harry peine à retenir une moue légèrement surprise. Satine est un rôle de Mezzo Soprano contemporain bien éloigné de ce qu’Agnes affectionne d’habitude. Il ne l’imagine absolument pas dans le rôle - et ça n’a rien à voir avec des critères physiques. Il ne veut pas être présomptueux, mais son esprit vagabonde un instant vers la possibilité qu’elle aurait accepté le premier rôle venu pour être ici, à Londres.

- C’est surprenant, mais c’est une bonne chose, si c’est ce que tu as envie de faire maintenant, il finit par répondre. Il n’a pas réussi à faire mieux - or il sait très bien que ce n’est pas très encourageant. Prends soin de ta voix, it’s a belty part ?

Il aime sa voix, et il aime Agnes. Il ne voudrait pas qu’elle sorte traumatisée de cette nouvelle expérience, ce n’est pas ce qu’elle mérite.

Agnes est assaillie par un mélange intéressant de sentiments, mais l’un d’entre eux se distingue des autres. Le vide qu’elle ressentait jusque là semble se combler en la présence de son ex fiancé. Une sorte de soulagement, un poids en moins sur un cœur déjà trop lourd. Il sourit et elle oublierait bien tous les problèmes qu’ils ont eu avant aujourd’hui juste pour quelques instants a plaisanter et connecter comme ils l’ont toujours fait. Lorsqu’il parle de se défiler, elle pose fermement ses main sur ses bras comme si elle s’apprêtait à le secouer, ce qui ne lui ferait pas de mal parfois à cet homme.

- Non, you got this. Et s’ils t’ont choisi toi et pas le dernier Valjean en date sur les mis, c’est parce qu’ils ne pouvaient pas passer à côté de quelqu’un comme toi. Believe me I know those things.

Agnes est dans l’assertion, persuadée d’avoir raison sur ce point comme sur beaucoup d’autres. Pour elle, seulement une véritable gem pourrait trouver son chemin sur le West End sans avoir incarné une bonne dizaines de rôles secondaires au préalable, mais Harry a fait partie d’ensembles sur Broadway et il a tout à fait les capacités pour rendre justice à ce rôle. Quand il lui dit qu’il doit apprendre les paroles, elle lui rit au nez, ce qui n’est sans doute pas la meilleure manière de s’attirer ses faveurs, mais ils ont été ensemble pendant dix ans, elle ne risque pas de prendre des pincettes aujourd’hui.

- Tu les connais les paroles, come on combien de fois tu m’as fait répéter ? Et puis t’es venu me voir aussi ?

La mémoire d’Harry est quelque chose de spécial c’est vrai, mais elle doute qu’il ait le moindre problème, c’est le rôle de sa vie après tout et elle le connaît très assidu et professionnel quand cela touche à la musique et les choses qu’il aime et le passionnent. Agnes est tendue lorsque le sujet dérive inévitablement sur Moulin Rouge, elle peut le sentir dans le ton de ex fiancé, ce n’est pas un rôle dans lequel il l’imagine, elle non plus d’ailleurs. Harry n’a jamais été doué pour cacher ce qu’il pense et c’est une chose qu’elle ne changerait pour rien au monde dans la personnalité de son ex fiancé.

- Ça va être compliqué, mais tu me connais moi et les challenges…Et puis  ça me permet de passer un peu de temps sur Londres, la ville me manquait ?

Toi aussi, elle manque de préciser, mais elle ne se sent pas prête à lâcher cette bombe là, pas tout de suite en tout cas, elle a besoin tâter le terrain avant de se lancer dans cette direction.

- You think I can’t do it ?

Agnes le rassure comme elle l’aurait fait de manière totalement normale et spontanée si leur histoire durait encore. Elle est douce et encourageante, et Harry sent son coeur qui se serre un peu dans sa cage thoracique. Objectivement, leur séparation est un immense gaspillage qu’il ne sait pas comment résoudre. Il l’aime, elle l’aime, et leur relation aurait dû aboutir au mariage qu’elle lui a tant de fois réclamé. C’est son égo d’homme blessé qui a pris le relais à un moment, sans qu’il ne soit plus capable de rationaliser ses angoisses pour se concentrer uniquement sur leur amour et tout le positif qu’Agnes a toujours apporté dans sa vie. Il s’est senti diminué, non accompli, à la traîne, lui qui était autrefois un jeune adulte ambitieux et plein d’espoir. Mais ce n’est pas tout ce qui s’est produit ; avec le temps, il a aussi perdu son entrain romantique, sa flamme quelque part. Il a eu besoin de se retrouver, avec ses motivations, ses envies, son caractère, et il n’a trouvé qu’un seul moyen pour le faire, fuir. Pour autant, l’amour qu’il ressent pour Agnes n’a pas diminué, et l’avoir face à lui en cet instant lui rappelle à quel point il aime cette femme, même si elle a fini par être agacée par son mélancolisme, son indécision, et ses feuilles volantes.

- Tu as raison, ce n’est pas comme si je découvrais les morceaux. J’ai juste peur que les deux heures que je vais devoir me mettre dans la tête ne s’évanouissent à la première occasion, il explique en haussant une épaule. C’est tellement... irréel, quand j’y pense. Tout ça. Moi, sur une scène du West End, c’est...

C’est un peu comme si le destin se moquait de lui, d’ailleurs, il ne peut pas s’empêcher de penser à ça. L’ironie est forte. Il a fallu qu’il perde Agnes pour gagner le rôle de sa vie.

- Enfin, je tâcherai de me souvenir de nos répétitions.

Il acquiesce, se souvient surtout de leur proximité pendant certains numéros particulièrement sensuels, et rougit un peu. Heureusement, Agnes change de sujet pour se concentrer sur ses propres projets, et lui demande if she can do it.

- Je comprends, pour Londres, il répond, et son égo s’autorise à prendre un peu de la gloire qu’implique sa présence ici avec lui. Sans doute que sa présence sur le sol anglais n’est pas totalement étrangère à son exil à lui. A moi aussi, la vile me manquait.

Il la dévisage un instant, jette un oeil aux partitions qu’il tient entre ses mains, puis aborde Agnes de nouveau.

- You can do absolutely everything you want, il répond. Tu es très douée. Je pensais que tu préférais un autre registre, mais je comprends que tu aies envie d’un challenge. J’espère juste qu’ils n’essayeront pas de transformer ta voix en une pâle copie de ce qu’on entend partout, cause it’s really beautiful as it is.

Il n’a pas à coeur de mentir, et de toute façon, ce n’est définitivement pas son fort ; autant être honnête, ça lui a toujours mieux réussi.

La situation a beau être complexe, interagir avec Harry est toujours étonnamment simple et doux. Leur séparation si elle a été houleuse sur bien des points ne semble pas en mesure de changer les habitudes et les réflexes qui pourraient aisément les replonger dans les bras l’un de l’autre. Ils s’aiment, cela ne changera sans doute jamais et un simple regard échangé les en assure tous les deux. Harry se soucie d’elle, elle le sent bien et Agnes de son côté continuera toujours de vouloir le meilleur pour son anglais à lunettes. Cette nouvelle est donc de bonne augure et une partie d’Agnes, un peu égoïste sans doute, espère que ce nouveau job leur permettra de reconsidérer les choses sous une lumière plus apaisée et pleine d’espoir. Certes, ce n’est pas un rôle sur Broadway, mais Agnes a désormais quarante ans, une belle carrière, et elle pourrait aisément s’installer à Londres avec Harry si elle le voulait, si Harry décidait de ne jamais rentrer à New York. Ce serait renoncer à beaucoup de chose et s’éloigner de ses proches, mais après tout peut-être qu’elle lui doit d’essayer ou tout du moins de considérer la chose. La maison reste un sujet délicat, c’est certain. Agnes ne sent absolument pas prête à la vendre et si son esprit vagabonde vers ces idées aujourd’hui, le sacrifice demandé mérite plus ample réflexion.

- Quand tu seras dans l’instant tu seras connecté à l’histoire, au personnage tu ne penseras pas à tout ça. Et puis ce n’est pas la première fois que tu es sur scène, tu as fait quelques covers, des pièces de théâtre, tu es loin d’être un amateur à son premier coup d’essai.

Elle tient tout de même à le lui rappeler car Harry ne réalise pas toujours qu’en comparant leurs situations, il ne célèbre pas forcément ses succès. Du travail, il en a trouvé. Des rôles qui lui permettent de se hisser au niveau de vie de sa fiancée et financer un mariage un peu trop ambitieux et couteux, c’est ce qui lui faisait défaut. Cela ne veut pas dire que ses projets moins mainstream ne font pas de lui un acteur tout à fait capable d’endosser le rôle principal d’une comédie musicale. Agnes sait qu’il donnera le meilleur de lui même, comme il l’a toujours fait.

Quand il précise qu’il se remémorera leurs répétitions, Agnes sourit tendrement, elle aussi agitée par quelques souvenirs qui viennent se rappeler à sa mémoire. Elle pose sa main sur son bras et le presse avec tendresse.

- Elles m’ont laissé un souvenir impérissable, j’imagine qu’à toi aussi…

Agnes sent ses joues s’embraser alors qu’elle repense à tout ceci, mais la conversation sur Moulin Rouge, la ramène indéniablement à ses angoisses concernant le belting et toutes ces techniques vocales contemporaines qu’elle ne maitrise pas. Harry lui fait grâce d’une opinion hypocrite sur le sujet et elle lui en est reconnaissante. Agnes déteste mentir, jouer des jeux en amour. C’est ce qui les a rapproché tous les deux, ils préfèrent la vérité, la spontanéité, même si l’impulsivité fait souvent partie de l’équation en contre partie.

- J’avais surtout envie d’être ici, avec toi. L’opportunité s’est présenté et j’ai signé sans trop réfléchir comme d’habitude. Encore une fois, tu me connais.

Elle finit par avouer en baissant la tête, incapable de contenir cette manipulation malhonnête de la vérité. A quoi bon le lui cacher après tout, elle a toujours été un livre ouvert avec lui et tôt ou tard il lui faudra bien amorcer la partie active de son plan, aussi bancal soit-il. Agnes ne compte pas rester misérable et à distance. Si elle doit remettre en cause toute sa technique vocale, elle n’est pas prête à renoncer à la contrepartie.

- Je veux juste faire quelque chose de correct, je ne serais pas la meilleure Satine qui soit c’est certain, mais je pense qu’ils sont surtout intéressés par les ventes et la promotion que ça peut leur apporter. Quant à moi, j’ai mon propre agenda et peut-être que tu m’aider avec le belting, ça ne te pose aucun souci à toi. Ca nous donnerait l’occasion de passer un peu de temps ensemble ? Je peux t’aider avec tes propres répétitions c’est dans mes cordes…

Agnes ne pourrait pas être plus claire sur l’agenda en question. Qu’importe, c’est trop douloureux de le laisser filer. L’idée qu’il prenne ses feuilles et disparaisse dans la faune londonienne lui déchire déjà le coeur.

Agnes a raison, Harry n’est pas à son coup d’essai. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il se sente complètement à l’aise avec l’idée de devenir le rôle principal de son Musical préféré - mais maintenant que le rêve et à portée de main, il ne va pas tout louper. Il a trop attendu pour ça, trop souhaité qu’une situation semblable se présente. Ca a miné son couple, sans doute. Malgré tout, avec toutes ces années, il est devenu un technicien vocal assez précis - c’est sans doute la raison pour laquelle ses cours fonctionnent bien. Bientôt, il ne pourra plus les donner, et cela le rend un peu triste, mais il voit difficilement comment allier cours et scène sans se trouver surchargé. Les répétitions et les lectures prennent déjà du temps et son esprit, il faut le reconnaître, est assez rapidement dépassé.

- Tu as raison, oui. Comme souvent.

Il sourit tandis que son esprit vogue vers les soirées qu’ils ont passé à répéter ce rôle pour qu’Agnes soit plus à l’aise avec certaines scènes de Christine, pour qu’elle se souvienne des paroles. Il se souvient à quel point ils étaient proches et comme il était aisé pour eux de se déconcentrer pour finir par s’embrasser et se laisser tomber dans le canapé du salon... et il se rappelle également à quel point il aurait souhaité pouvoir partager la scène avec elle pour de vrai. A l’époque, il était bien trop timide et peu expérimenté. Personne ne lui aurait jamais fait confiance avec Phantom ou Raoul. Aujourd’hui, il est plus vieux, plus doué, et un peu plus sûr de lui - même si ce côté là pêche parfois encore un peu. Il est tellement aisé de redevenir ce jeune adulte derrière le comptoir du coffee shop de Georges...

Agnes dans le rôle de Satine est en effet une surprise - et elle-même semble étonnée d’avoir suivi ce chemin. Elle confesse assez rapidement qu’elle a surtout saisi l’excuse pour venir à Londres, et Harry l’observe avec une tendresse non dissimulée. Il est content de la voir, il ne pourra jamais prétendre le contraire. Agnes est la pièce maîtresse de sa vie, l’essentiel de son quotidien. Ils ne savent juste pas dialoguer correctement, c’est ça qui les retient, qui les bloque. Il est heureux qu’elle soit honnête, et esquisse un sourire, un peu triste, en tout cas nostalgique.

- Je suis content de te voir, en tout cas.

Il hoche la tête et prend une inspiration, jette un oeil à sa montre car l’heure tourne et Agnes a réservé l’endroit pour une bonne raison - il est en train de la priver de son temps de répétition. Elle lui demande de l’aide finalement, en lui proposant la sienne, relativement honnête et transparente sur ses intentions. Harry ne peut que s’en montrer reconnaissant, même s’il ne sait pas quoi en penser. Une chose est sûre, il est inutile qu’ils se jettent de nouveau dans les bras l’un de l’autre. Il y a des choses dont ils doivent discuter, des choses qu’il faut mettre à plat - même s’il peut bien le dire, depuis qu’il a obtenu le rôle d’Erik, il a l’impression que ses problèmes n’existent plus.

- Je peux, oui. Tu veux que je t’aide à t’échauffer ? il propose en montrant le piano. Ils avaient l’habitude de le faire ensemble il n’y a pas si longtemps. Harry connait la voix d’Agnes par coeur, il est certain qu’il peut au moins tenter de lui être utile.

Agnes sourit à son tour lorsque Harry lui annonce qu’il est content de la voir, le soulagement se lit d’ailleurs sur ses traits après cette affirmation. Harry ne lui mentirait pas et Agnes est donc aisément rassurée par ces paroles qui ne peuvent être que sincères venant de son ex fiancé. Avec le soulagement vient cependant s’ajouter une certaine forme de tristesse liée sans doute au fait qu’ils avaient toutes les cartes en main pour être heureux tous les deux s’ils avaient su communiquer plus sereinement. Agnes se demande souvent comment ils en sont arrivés là alors même qu’ils ont une confiance aveugle l’un en l’autre et une volonté manifeste à se soutenir mutuellement et à faire fonctionner les choses. Discuter une nouvelle fois de tout cela effraye pourtant Agnes qui a peur d’une nouvelle impasse qui l’éloignerait une fois de plus de l’homme qu’elle aime et qu'elle vient tout juste de retrouver.

- Je suis contente de te voir aussi, et puis il reste quelques semaines pour voir Bake Off, the musical … We have to go before it closes, just you and me, could be fun…?

Agnes ne connait pas beaucoup de monde à Londres, même si elle a quelques connaissances ici et là, elle espère très sincèrement qu’elle et Harry pourront au moins se fréquenter comme des amis. C’est presque ce qui lui manque le plus de leur relation, les soirées sur le lit à manger trop de sucre et à débattre de tout et de rien, les petites après-midi à tester des nouvelles recettes et à se donner la réplique sur les airs des plus grands duos classiques de Broadway. Dans son souvenir en tout cas, leur cohabitation était principalement heureuse et leur connexion réelle, simple.

- Je sais que tu n’a pas fui à l’autre bout du monde pour m’avoir sur le dos mais ce serait vraiment sympa si on pouvait au moins rester amis et faire quelques sorties.

Agnes a beau être motivée à reconstruire son couple, elle n’est pas non plus sûre à cent pour cent d’y arriver. Savoir qu’il l’apprécie toujours suffisamment pour la fréquenter et ne pas la laisser dépérir de tristesse seule à Londres lui apporterait tout de même un peu d’espoir et le courage dont elle aura bien besoin pour se lancer dans sa quête périleuse. Harry se montre toutefois ouvert et puisqu’il se propose de s’installer au piano et de rester avec elle, Agnes hoche la tête, son coeur loin d’être prêt à le laisser filer tout de suite.

- Bien sur, ce sera plus simple pour moi et puis peut-être qu’on peut aller boire un café ensuite, rassure moi on est toujours dans le même panier niveau consommation excessive ?

Harry sourit un peu quand elle aborde Bake Off the musical. Une vaste plaisanterie, que des gens aient été assez fous pour monter une pièce sur ce sujet - mais l’idée est audacieuse et lui plait assez, et puis, ils en ont assez rigolé tous les deux pour s’autoriser une petite soirée ensemble. Harry est un peu sceptique sur leur capacité à être de simples amis cependant, il doit bien l’admettre. Agnes représente tout ce qu’il aime chez une femme, et elle est magnifique. S’il s’écoutait, il la prendrait dans ses bras immédiatement pour l’embrasser tendrement et la garder contre lui. Ce serait totalement contreproductif, mais son coeur a clairement envie d’agir ainsi. Il secoue la tête et puis acquiesce, réalisant qu’il s’est perdu dans ses pensées et que le rouge lui monte aux joues.

- Of course, sure. It will probably be fun, indeed. Let’s do that.

Il lui offre un sourire - et penser à Georges, tout à coup, le replonge dans leurs soirées d’autrefois et dans les souvenirs.

- Georges is hosting an open mic night on saturday, by the way. He’s barely even working now, but still comes around sometimes. I’m sure he’d be happy to see you.

C’est tellement facile de réintégrer Agnes dans son quotidien. Ils pourraient dîner, aller chanter, puis aller danser, se promener dans une Londres nocturne, main dans la main, puis rentrer s’épuiser dans une chambre d’hôtel ou dans son petit appartement de Chelsea. Ce serait tellement simple, tellement logique.

- We can see each other, après tout, on s’entend bien.

Il sourit tristement, puis s’installe au piano comme elle lui propose de rester. Il rit quand elle aborde le sujet du café.

- You would hate being in my flat right now, I bet there are cups everywhere...

Il soupire, c’est vrai qu’il a toujours eu tendance à semer des choses un peu partout derrière lui. Feuilles de musique, tasses de café, stylo, ses clés, son portable... Harry a du mal à garder de l’ordre, et s’il faisait un effort lorsqu’ils vivaient ensemble, depuis qu’il est retourné vivre seul dans un appartement, les choses sont bien plus compliquées.

- Okay then let’s warm you up before coffee.

Il abandonne son book sur le côté du piano et pose ses mains sur le clavier pour jouer des gammes et l’aider à s’échauffer.

Agnes sourit, l’idée de cette soirée théâtre lui apporte un peu de baume au coeur et lui donne l’impression qu’elle et Harry sont sur la même longueur d’onde. Cela aurait été terrible pour Agnes de le retrouver fâché et bien décidé à ne pas se mettre dans une situation complexe en la fréquentant de nouveau. Cette douceur qu’elle perçoit dans son regard et dans l’intonation de sa voix lui indique en revanche que les choses n’ont pas à être aussi absolues, qu’ils peuvent garder au moins l’essence de leur connexion tandis qu’ils réfléchissent ensemble à l’avenir de leur relation. Agnes, tout comme Harry a besoin de certitudes, mais une sortie théâtre ne risque pas d’avoir le moindre impact sur tout ça. Au mieux, elle s’offre la possibilité de profiter d’un Harry épanoui professionnellement, une chose assez nouvelle pour elle finalement. Agnes s’enthousiasme quand elle apprend que le petit café organise toujours des soirées. L’idée d’accompagner Harry là-bas éclaire instantanément ses traits.

- That’s awesome. I have a song I’d love to sing and it’s not Moulin Rouge…

Moulin rouge qui est probablement la dernière chose qu’Agnes souhaite chanter, mais il est sûrement temps pour elle de quitter ce mode de pensée assez négatif qui ne la mènera nulle part. Elle a choisi d’incarner Satine pour s’offrir la chance d’être à Londres et de travailler sur son couple certes, mais si elle ne se met pas rapidement au travail, les chances pour qu’elle passe un sale moment sur la scène du West End sont plutôt elevées.

- There’s some in mine too, I’ve been quite busy since I arrived. And stressed.

Ensemble, ils formaient une bonne équipe, se partageaient les tâches de manière plutôt naturelle et efficace. Agnes aime toujours l’ordre, mais elle a beaucoup de mal à gérer son emploi du temps chargé, les répétitions et longues soirées à se perdre dans les photos et les anciennes conversations à la recherche des petits éléments qui ont contribué à la destituer de la vie rêvée qu’elle avait l’impression de mener à New York tandis qu’Harry était vraisemblablement misérable.

Agnes chante les gammes proposée par Harry, encore une fois c’est extrêmement pratique pour elle de s’échauffer en sa compagnie, leurs tessitures vocales se rejoignant facilement à une octave d’intervalle. Lorsqu’ils sont tous les deux échauffés elle lui demande quelques conseils pour mixer sa voix avec plus de graves, ce qui semble être une solution plus accessible pour l’heure. L’heure défile et ils sont bientôt mis dehors par un jouer de violoncelle plutôt austère.

- Thank you so much for helping me

Elle embrasse sa joue et se saisit de sa main déjà bien incapable d’instaurer une distance de sécurité.

Harry est incapable de mettre de la distance entre eux. Avec le recul, il se demande bien comment il a été capable de se mettre dans un avion entre New-York et Londres. La décision n’a pas été facile, et se remémorer la douleur vive qui troublait les battements de son coeur quand il a décollé le ramène quelque peu à la réalité difficile de ce qu’ils ont traversé. Harry a passé d’horribles semaines à ressasser ce qu’il avait fait, et puis il a tenté de passer à autre chose. Ca n’a pas vraiment fonctionné. Une partie de son esprit s’attache au fait que la situation a changé depuis la dernière fois qu’ils se sont vus. Il a trouvé un job qui lui permettra de gagner un peu sa vie, même si le salaire reste modeste, et les cours qu’il donne en complément viennent définitivement adoucir son quotidien. Peut-être que désormais, ils pourraient repartir d’un pied plus sain. Après avoir discuté de toutes les choses difficiles dont ils doivent discuter, bien entendu.

Il se réinstalle au piano et échauffe leurs deux voix conjointement, et puis il passe un peu de temps à avec elle pour redessiner les contours de son mix. Elle n’a pas besoin de s’abimer la voix pour jouer ce rôle parfaitement, Harry en est persuadé. C’est l’avantage qu’il a à avoir passé plusieurs années dans l’ombre à tenter de se former, il a développé une forme d’expertise en terme de voix et d’exercices vocaux, se passionnant pour le sujet dans l’espoir de pouvoir retransmettre son savoir à des étudiants - ou d’autres artistes. Ca le passionne réellement, et il avait fini par trouver son rythme avec les cours qu’il donnait. Seulement, endosser le rôle d’Erik ne se refuse pas - and its even more amazing than teaching.

- You’re welcome, il lui dit en lui laissant sa main une fois qu’ils sont jetés dehors par le prochain à avoir réservé la salle. So, coffee then? il propose en regardant sa montre. I’m supposed to meet with Rose for dinner, she says she sees me less than when I was living in New-York in order to guilt trip me to Windsor every once in a while..."

Sa Grand-mère est, c’est le moins que l’on puisse dire, une drama queen - mais Agnes le sait déjà. Elle connait bien Rose.

Agnes passe un bon moment avec le britannique, tout est presque trop naturel pour eux. Le piano, leurs voix qui se mêlent harmonieusement, Harry qui n’a aucun mal à embrasser la tessiture d’un ténor lorsqu’il s’attaque à Christian… Agnes n’aurait d’ailleurs aucun mal à l’imaginer dans le rôle, s’ils ne s’intéressaient pas à caster uniquement des jeunes premiers. Lorsqu’elle y pense, la différence d’âge entre elle et son costar est plutôt importante. Son esprit vagabonde et plusieurs fois elle s’emmêle les pinceaux, sa main posée affectueusement sur l’épaule de son ex fiancé. Sa voix basse chaleureuse et timbrée la met toujours de bonne humeur.

- You’d be a great Christian, after all everyone says you look like Ewan McGregor…

Elle sourit, rayonnante en sa compagnie, bien plus détendue qu’elle ne l’était en arrivant. Seulement, toutes les bonnes choses ont une fin et si elle a grappillé quelques instants en proposant un café, Harry lui indique qu’il est attendu pour dîner chez sa grand mate Rose. Les chances pour qu’elle puisse passer la soirée blottie contre son vieux pull sont désormais inexistantes et l’idée de rejoindre son appartement triste et seule décourage Agnes qui tente tant bien que mal de profiter du temps qui lui reste.

- Say hi for me…

Elle sourit mais tout cela la ramène aux problèmes qu’ils ont pu rencontrer et qui ont inévitablement contribué à leur séparation. Rose n’est pas sa plus grande fan, principalement parce que l’entourage britannique d’Harry semble convaincu qu’elle leur a arraché de force pour l’emmener avec elle aux États-Unis, comme si Harry lui même n’avait jamais eu son mot à dire sur la question. Agnes est fatiguée de cette narration subjective et erronée de la réalité, mais avec les années elle a cessé de se battre contre cette image de sorcière américaine imbue d’elle même, carriériste et égoïste. Agnes suit Harry qui connaît bien mieux les lieux qu’elle et ils échouent dans un petit café, mois bruyant que le standard londonien.

- At which time do you have to leave ?

Harry rit un peu, il est vrai qu’on lui a déjà parlé de la comparaison étrange entre lui et le plus célèbre Maître Jedi de tous les temps. Il a du mal à prendre cette comparaison au sérieux, mais il admettra bien volontiers, en revanche, que les chansons de Moulin Rouge - mostly the movies’ - lui parlent et font résonner en lui quelque chose de particulier. Il est bien conscient qu’il ne pourra jamais prétendre à un rôle pareil, il est trop vieux désormais. En même temps, il choisirait mille fois Phantom et, de manière générale, tous les Musical un peu plus classiques. Agnes aussi a cette préférence, mais il comprend désormais qu’elle a fait ce qu’elle pouvait pour venir ici, à Londres. Le geste le touche, il ne dira pas le contraire, et l’avoir ici, bien que ce soit égoïste, a quelque chose de profondément rassurant. Comme la confirmation qu’elle n’est pas définitivement sortie de sa vie, ce qu’il a pu craindre ces dernières semaines.

Harry l’emmène jusqu’à un endroit un peu plus calme et reclus que les autres, car il n’a que très peu envie de s’infliger le brouhaha ambiant des cafés blindés de Londres. Quand elle lui suggère de saluer Rose pour elle, il hésite un instant à lui proposer de venir, mais se ravise. Pas parce que sa compagnie lui serait désagréable, mais parce que Rose sait se montrer peu accueillante lorsqu’elle est dubitative. Il aurait peur que sa Grand-mère ne comprenne pas bien ce qu’Agnes fait là, et qu’elle les mette dans l’embarras. Il vaut mieux qu’il lui explique d’abord en tête à tête qu’Agnes est à Londres avant qu’il ne débarque avec elle au prochain dîner de famille.

- I will, il répond en hochant la tête. She’s asked about you, how you were.

Il soupire et commande deux cafés. Quand sa tasse arrive, il en caresse les bords brulants avec ses doigts, peinant à trouver ses mots ou un sujet de conversation - pas parce qu’il n’a pas envie de lui parler, mais parce que des choses à dire, il y en a tellement.

- Around 5 would be great, I have to be there early, her majesty is playing poker at 8 so I can’t stay for too long or I’ll distract her, you know...

Il rit tendrement à l’évocation du personnage qu’est sa Grand-mère, à la fois aimante, inquiète, chaleureuse et expéditive, trop cash et trop froide parfois, comme pour dissimuler la tristesse et la fatigue des années.

- What are your plans ?

Agnes est surprise par les dires de son ex fiancé. A aucun instant la comédienne ne se serait imaginé que qui que ce soit dans l’entourage d’Harry puisse vouloir prendre de ses nouvelles suite à cette séparation aussi brutale qu’attendue par un bon nombre de personnes ici à Londres. La pensée la rend d’ailleurs plutôt triste même si elle s’est plusieurs fois juré de ne pas se laisser atteindre par ce genre de choses. Avec un tant soit peu de soutien pourtant, Agnes est convaincue que les choses se seraient déroulées différemment. Remuer le passé ne changera pas le présent cela dit, c’est évident, alors elle hoche la tête sans ajouter quoi que ce soit qui pourrait laisser transparaitre ses doutes quant à l’affirmation d’Harry. Après tout, ce que la famille d’Harry pense d’elle n’est que le reflet de ce qu’il peut bien leur dire à son sujet. Tant qu’ils ne communiqueront pas sur leur problèmes, la vision du clan Fletcher ne risque pas de changer, celle d’Agnes non plus.

- I’m doing fantastic! I ate lots of sweets and chocolates while crying about you being gone, but in the end I decided to swallow my pride and I came here ? To talk, connect, ruin my voice, who knows… Overall I am ok.

Elle sourit, ironique mais s’essaye tout de même au ton de la plaisanterie dans le but de détendre l’atmosphère et d’apporter un peu de clarté sur ses motivations. Elle n’en reste pas moins inquiète et amère malgré tout, mais elle tente de le dissimuler autant que faire se peu. Harry la dirige vers un petit café qui leur permettra de discuter sans subir un bruit de fond insupportable et Agnes lui en est reconnaissante.

- You’re very distracting to be fair…

Elle lui sourit et se perd une fois de plus dans ses yeux qui ne semblent jamais avoir la même couleur à chaque fois qu’elle s’y plonge. Interrogée sur ses plans, Agnes lui demanderait bien de définir ce qu’il entend par là, mais à la place, elle se contente de sourire et de répondre.


- After 8, nothing, free as a bird! Do you want to do something ?

Agnes se sent un peu coupable de sauter sur l’opportunité en prenant tout ceci pour une invitation alors qu’elle sait pertinemment que ce n’en est pas une, mais desperate times, desperate measures.

Agnes va droit au but, Harry doit bien le lui reconnaître. Elle est assez franche sur les raisons de sa présence à Londres après tout, et il doit bien admettre qu’il est flatté par ses efforts. Il a cru longtemps qu’il resterait sans nouvelle, qu’ils avaient passé le point de non-retour, en quelque sorte, et qu’il était trop tard pour réparer leur relation. Une pensée bien triste, même si Harry ne sait toujours pas ce qu’il veut en faire, de cette relation. Il a l’impression qu’ils vont resombrer sans y penser dans leurs vieux travers - Agnes représente pour lui une tentation à laquelle il a les plus grandes peines à ne pas céder. Elle est magnifique, et il l’aime, un cocktail assez efficace en général. Mais se relancer maintenant, sans avoir abordé les sujets qui fâchent, n’est pas vraiment utile et risquerait de les mener une fois de plus à leur perte. Même si la situation semble différente ; Phantom va définitivement permettre à Harry de gagner sa vie, et de gagner en notoriété, aussi.

- Well let’s make sure that you don’t ruin your beautiful voice. That’s something we can definitely do, can’t we? As for the rest, well... You definitely know what you want and how to get it so I’m not worried.

Il hausse une épaule comme il rassemble ses affaires et se dirige vers un petit café plus calme en attendant de devoir prendre le train pour rejoindre Rose à Windsor. Elle aura sans doute des tonnes de choses à dire, la connaissant, à propos de la présence à Londres d’Agnes. Rose a un à priori, c’est certain, mais il n’est pas tant lié à la personne d’Agnes ; plutôt au fait qu’elle ait réussi à entraîner son petit-fils jusqu’aux Etats-Unis, loin d’elle. Il sait cependant que sa Grand-mère a pu voir le désespoir profond qui était le sien lorsqu’il est rentré, et qu’elle n’est ni dupe, ni cruelle ; à un moment, le bonheur d’Harry compte plus que ses guerres d’égo. Cela dit, Harry est relativement soulagé d’être rentré auprès d’elle, car Rose vieillit, et la vie solitaire dans sa petite maison de Windsor n’est pas toujours facile.

Harry demande à Agnes quels sont ses plans pour la soirée, et la jeune femme retourne habilement la question comme s’il était en train de lui faire une proposition pour après le dîner - ce qui n’était pas vraiment l’objectif. Ce n’est pas qu’il n’a pas envie de le voir, à dire vrai, il voudrait la voir tout le temps. Mais il n’est pas sûr que ce soit raisonnable, ni pour leur couple - ou ce qu’il en reste - ni pour son emploi du temps. Cela dit, il ne pourras jamais lui refuser quoi que ce soit, et sans doute le sait-elle.

- Well, I guess I’ll be back in the city around 8:45, we can join for a drink or two. Sober drinks, obviously, but yes. If you want, of course.

Harry n’a jamais laissée Agnes indifférente et ce dès leur première rencontre dans le petit café où il travaillait à l’époque. Garçon charmant avec un accent qui a toujours aujourd’hui son petit effet sur elle, il n’a fallu que quelques jours à la rousse pour tenter une approche, même si à la réflexion il était sûrement déplacé de l’ennuyer sur son lieu de travail avec ses avances. Dix années se sont écoulées depuis leur première rencontre avec leur lot d’embûches et de disputes évidemment, mais il suffit d’un regard à Agnes pour que son cœur s’emballe de nouveau en la présence de son ex fiancé. Harry lui plaît et elle le désire de bien des manières, même si elle est consciente de l’impasse dans laquelle ils se trouvent tous les deux.

Agnes n’est pas réputée pour sa capacité à se montrer raisonnable et pour être tout à fait honnête c’est surtout son cœur qu’elle a envie d’écouter aujourd’hui, même si sa raison lui crie qu’elle ne règlera pas leurs problèmes en mettant tout en œuvre pour retrouver ses lèvres ou ses bras… Être ici sans lui demander le moindre sacrifice lui donne l’impression de gagner du temps, de pouvoir échapper à la réalité pour quelques mois même si cela ne solutionne en rien leur futur commun. Ils sont là tous les deux, actifs sur la scene du West end, avec aucune raison valable pour s’éviter.

- You can come to my place if you want, it’s quieter. Unless you need help with your cups cemetery, I wouldn’t judge… there’s some at home too as I said, busy times…

Ils pourraient sortir c’est vrai, mais ils ont besoin de discuter et les bars bruyant ne le leur permettrait pas vraiment à la réflexion.

- I just feel like it would be nice to talk, spend some time together ? And you know my grand design so, it’s probably silly to pretend I just want to catch up with you. Surely what I have in mind isn’t that bad in your own mind ?

Il lui manque terriblement c’est son plus gros problème. Agnes a tout quitté pour le rejoindre ici à Londres, mais le rôle qui l’attend est compliqué et ce n’est pas aussi évident que les gens le prétendent en tout cas, de se faire des amis dans une ville où vous ne connaissez personne. Frankly, she’s quite lonely.

- I can make you the best hot chocolate and add more cups to the cemetery.

Agnes lui propose de venir chez lui - une option qu’il n’avait pas vue venir. Il pensait plutôt à un lieu extérieur et neutre où ils ne seraient pas susceptibles de se jeter l’un sur l’autre - car il faut bien l’admettre, c’est ce qui a de grandes chances de se produire. Harry la désire plus qu’il n’a jamais désiré une autre femme, et Agnes connait très bien ses points faibles, si l’on peut les appeler ainsi. Entre eux, il n’a jamais été question simplement de sexe, mais ils sont connectés à bien des niveaux, et ce dernier en fait partie. L’envie de la sentir proche de lui, de caresser sa peau, d’embrasser son épaule, cette envie est bien là, et Harry sera bien incapable d’y résister lorsqu’elle se présentera dans l’obscurité intime de l’un de leurs appartements. Il n’a pas envie qu’Agnes souffre plus encore qu’elle n’a déjà souffert cela dit, et il a bien conscience qu’il va devoir faire attention à son attitude s’il veut éviter de la rendre misérable.

- Let’s meet at your place, then, il répond, sans être capable de rejeter cette idée. I won’t have time to go back to mine and I’m afraid I don’t even remember the mess I made before leaving this morning.

Il est assez honnête, quand il est parti, il était en retard comme bien souvent, et les vêtements, le petit déjeuner, les journaux et la musique sont sans doute éparpillés un peu partout dans l’appartement. Il ne sait pas quoi dire sur le reste de la soirée. Ils ont besoin de discuter, c’est vrai, mais Harry n’a encore jamais réussi à se faire comprendre. Finalement, quand il discute avec Agnes des raisons qui ont conduit leur couple à ne pas fonctionner, il se trouve bien souvent idiot. Comme si ses raisons n’étaient pas vraiment valables finalement, parce qu’il n’arrive pas à expliquer assez bien ce qu’il ressent. Il faut qu’il fasse l’effort, mais personne dans son entourage n’a encore réussi à lui venir en aide. Il demandera à Rose, un peu plus tard, peut-être qu’elle pourrait l’aider à trouver les mots - même si honnêtement, Harry voit en sa nouvelle carrière professionnelle la perspective d’une amélioration très nette de ses problèmes d’égo, et qu’il sera assez aisé de se dire que maintenant, les problèmes qu’il a trouvés à leur couple n’existent plus.

- I’ll bring pastries, I guess I can buy some one my way to Windsor. If I don’t forget them in the train, we’ll have desert... Still like insertnameoffavpatry?

Agnes affiche une mine rassurée, bien que coupable d’avoir entourloupé son ex fiancé de la sorte. Harry accepte de la rejoindre chez elle cela dit, et c’est déjà une belle victoire finalement, même si cela ne fait que repousser une nouvelle séparation cette fois inévitable à la fin de la journée. Si Agnes l’avait rejoint chez lui,  l’initiative du départ lui serait revenue, mais la rousse n’est pas en position de négocier quoi que ce soit et elle doit se contenter de la perspective de ces retrouvailles ardemment désirées. Un bon départ, si elle s’autorise l’optimisme, mais loin d’un retour à la normale anticipé pour autant. Elle s’en satisfait pourtant, sa main cherchant délicatement la sienne pour lacer leurs doigts sur la table du petit café.

- Okay, my place then… I’ll take the responsibility of having clean mugs for our hot chocolates. You can count on me!

Agnes sourit mais se refuse à abandonner sa main, comme une preuve de sa volonté inébranlable à s’accrocher à ce qu’ils ont. La comédienne sait qu’elle a tout à y gagner, mais Harry a besoin d’être convaincu. Ce n’était pas toujours évident pour Agnes de se dire qu’il n’avait pas la même vision de cette relation, qu’il y avait des choses plus importantes que leur amour à ses yeux, mais elle compose avec cette réalité depuis assez longtemps pour savoir qu’elle ne changera pas du jour au lendemain.

- Still the same woman yes, I love everything that’s sweet.

Agnes apprécie un moment de calme, puis rompt le silence pour recentrer la conversation sur eux et leur futur commun, tout ce qui intéresse Agnes pour le moment, il serait bien hypocrite de prétendre que ce ne n’est pas le cas.

- How do you feel about everything ? Me being here to fix us ? Will you give me a fair chance ?

Agnes plonge son regard dans celui d’Harry à la recherche de réponses. La rousse ne dort plus si bien, contrariée par la situation même si elles tente tant bien que mal de garder la face devant les autres.

Harry est faible, voilà sans doute ce que lui dirait Alice, sa meilleure amie. Il est revenu ici il y a plusieurs mois maintenant et son amie est très satisfaisante par le tournant des évènements. Alice n’a jamais vraiment porté Agnes dans son coeur, malgré les demandes d’efforts d’Harry et son souhait que les choses se passent bien. Quand elle saura qu’Agnes est ici et qu’il a déjà accepté, à peine 5 minutes après l’avoir recroisée, d’aller chez elle après son dîner chez Rose, elle ne manquera évidemment pas de le sermonner. Pourtant, si Harry comprend bien que sa meilleure amie soit le reflet de ses propres hésitations, il ne peut s’empêcher de constater que la présence d’Agnes à ses côtés a quelque chose d’apaisant. Et il cherche sa compagnie, évidemment, parce que même s’il est parti, il n’a jamais vraient cessé de l’aimer.

- Good, then. I’ll do that, and you deal with the hot chocolate.

Il acquiesce en regardant leurs mains, un peu nostalgique. Aujourd’hui, il aurait même du mal à affirmer qu’il est persuadé d’avoir pris la bonne décision en partant. D’un certain côté sans doute, puisque dans quelques semaines, il foulera la scène de his majesty’s theatre, et c’est une aventure dans laquelle il n’aurait pas pu se lancer s’il était resté à New-York. Mais il l’a perdue, elle, pour des raisons dont il peine parfois à se souvenir, en réalité. Il a rencontré bien des doutes et des difficultés, mais s’il y a bien une chose qu’il sait avec certitude, c’est qu’il n’a jamais feint l’amour qu’il lui porte. Il l’aime, il l’aimait quand ils étaient à New-York, et il l’a aimée, sans doute, dès la première fois qu’ils se sont croisés dans ce petit café londonien tenu par Georges. Ce n’est pas l’amour qui faisait défaut, même si Agnes a sans doute eu du mal à le comprendre, de prime abord.

- I feel... Flattered, I would say? I’m glad you came all this way and I know how hard it must be. I’m sorry, for what it's worth. I will give you a fair chance, yes, of course.  

Une chose est sure, il ne va pas la rejeter maintenant, alors qu’elle est là, seule, prête à prendre un rôle auquel il devine qu’elle ne tient pas tant que ça, et tout ça pour lui. Il n’est pas cruel à ce point.

Agnes est rassurée d’entendre qu’il lui laissera une chance. La manœuvre est un peu désespérée, elle doit bien l’admettre, son ego comme son côté féministe souffre un peu de cette situation, mais Agnes n’est pas douée pour les jeux de pouvoir, les manipulations et les mensonges, même les plus inoffensifs. Elle aimerait parfois être capable de tirer son épingle du jeu comme Vera, obtenir ce qu’elle veut sans avoir à ravaler sa fierté à chaque fois qu’elle décide de courir après son ex fiancé, mais ce n’est pas sa manière de faire, Agnes n’a aucun contrôle sur son honnêteté et elle est certaine que s’ils mettent tous les deux de la bonne volonté, ils s’en sortiront à grand renfort de communication. Cet optimisme, est une qualité, toute comme son étonnante determination, mais le succès de cette relation ne dépend pas que d’elle et c’est quelque chose qu’elle peine encore à comprendre. Harry de son côté est une bonne personne, avec ses problèmes et son petit caractère tout comme elle, mais Agnes n’a jamais douté de sa sincérité ou de ses intentions. Ils se comprennent, s’adorent et pour Agnes, c’est une raison suffisante pour se battre, mais si parfois elle aimerait qu’il en fasse de même lui aussi. Elle ne peut pas s’empêcher d’espérer cela dit.

- Then everything will be alright ?

Agnes finit par le laisser partir et rejoindre sa grand mère toujours un peu coupable de lui avoir un peu forcé la main sans le vouloir. Elle rentre chez elle et arrange l’appartement qui a subi un peu son emploi du temps chargé du moment. Il faut qu’elle trouve une femme de ménage mais alors qu’elle vient d’arriver ses priorités sont ailleurs. Harry lui manque, il lui manque énormément et Agnes peine à se concentrer sur quoi que ce soit d’autre, même si tout cela l’agace et lui donne l’impression d’être faible. L’heure tourne rapidement et la rousse est vite submergé par ses préparatifs. Lorsqu’il arrive, Agnes a les cheveux mouillés et semble un peu nerveuse.

- So how was Windsor ?

Le problème avec Agnes, c’est qu’Harry est bien incapable de lui dire non. Ça a toujours été comme ça entre eux. Il déteste l’idée de lui faire de la peine et, quand il repense à ce jour où il a décider de la laisser derrière lui et de quitter New-York, le soulagement dont il se souvient est également contredit par le sentiment intense de culpabilité qui l’étreint. Rendre Agnes triste est une perspective bien éloignée de ce qu’il avait en tête, d’autant qu’Harry a toujours été du genre romantique, à penser qu’il se marierait et s’unirait à une femme pour toujours, avec pour seul objectif de la rendre heureuse et de fonder une famille. Quand il y réfléchit, lui même est bien incapable de comprendre pourquoi il n’a pas été en mesure de laisser son égo de côté pour se contenter du bonheur et de la puissance des sentiments partagés avec Agnes. Car l’amour ne manque pas. Il l’aime profondément depuis le premier jour.

Il finit par l’abandonner pour se rendre à Windsor. Rose n’est jamais très objective dans ce genre de moments. Elle pense comme Alice qu’il a suffisamment souffert, qu’il n’a pas besoin d’être le pantin sans ambition d’Agnes. Harry les trouve injustes et dures. Malgré tout, Rose semble prendre la mesure de son trouble car elle aborde une posture plus douce, presque encourageante. Il pense, comme elle, que maintenant qu’il va jouer un rôle sur la scène du West End, les différences vont se gommer petit à petit. Peut être que c’est ça la clé de leur bonheur ? Peut-être qu’il leur fallait un break pour qu’Harry puisse prendre son envol et lancer sa carrière seul. Peut-être que désormais, maintenant que c’est chose faite, il peut s’autoriser la faiblesse de croire en son histoire d’amour. Rose ne le contredit pas - elle lui propose même de venir avec Agnes la prochaine fois, mais il ignore si c’est par véritable envie de la voir, ou par simple courtoisie. Rose fatigue, Harry le voit bien. Peut-être qu’elle met désormais son ego de côté pour lui permettre d’être heureux.

Il reprend le chemin de Londres pas trop tard, pour éviter de déranger son ex fiancée à des heures indues. Frappe à la porte et lui tend une bouteille d’une boisson pétillante sans alcool - il est très sérieux avec ses préparatifs.

- It was okay. Rose says hi — she told me you could come with me next time, if you want of course. I know she’s not easy. What about you?

Il entre et, sans faire exprès, la dévisage. Elle est si belle, avec ses cheveux mouillés qui tombent en cascade irrégulière sur ses épaules. Il a envie de l’embrasser, s’accroche plutôt à la bouteille pour éviter de déraper.

- Your place is nice, il finit par murmurer.

Agnes sourit lorsqu’elle voit la silhouette d’Harry se dessiner dans l’embrasure de la porte. Le voir, même après ces mois difficile, ne la laisse pas indifférente et la rousse se laisse submerger par la nostalgie qui l’envahit lorsqu’elle repense à leurs petites habitudes et les bons moments trop courts qu’ils ont pu partager dans le passé. Elle aimerait se saisir du revers de mon manteau pour l’attirer à elle et l’embrasser en guise de bonjour, mais tout ceci n’est hélas pas d’actualité et Agnes se contente de lui laisser l’entrée libre pour refermer la porte derriere eux, coupant court à toute pensée qui pourrait venir lui torturer le cœur une fois de plus et tenir la perspective de cette soirée de retrouvailles en bonne compagnie.

Quant Harry lui fait part des salutations de Rose, la comédienne ne peut réprimer un haussement de sourcil surpris. La grand-mère d’Harry ne l’apprécie pas. Sans doute Agnes aurait elle trouvé grâce à ses yeux si elle avait décidé de poser ses valises à Londres pour emménager près d’Harry, abandonnant ainsi sa carrière florissante sur Broadway par la même occasion lorsqu’ils se sont rencontrés il y a des années de cela, mais les circonstances extrêmement inverses qui ont entouré leur relation sont loin d’avoir acheté l’amour de Rose. Aussi, Agnes voit tout ceci uniquement comme une politesse, un égard pour son petit fils qui tout comme elle, n’a pas réussi tourné la page. Elle hoche la tête cependant et se permet de taquiner son ex fiancé, la nostalgie au cœur de ses sentiments du moment.

- Well you’re not an easy man either to be honest, a family trait I would say, but it contributes to your how devastating charms !

Agnes lui adresse un nouveau sourire et lui fait visiter les lieux, rangés à la hâte mais décorés avec goût. Sur le mur, trône d’ailleurs un cadre avec une photographie d’elle et Harry, vestige sentimental de leur vie de couple, d’une période où leur vie à New York était encore empreinte de nouveauté et d’optimisme. Agnes l’a emporté avec elle, incapable de s’en séparer. Après tout, la rousse sait ce qu’elle est partie chercher ici à Londres. Son cœur, sans aucun doute.

- It is right ? I always make sure it is, better be depressed in a nice place than in a dump !

Agnes fait preuve d’une honnête cinglante peut être trop vulnérable ou trop sincère, mais elle n’a jamais cherché à cacher ce qu’elle ressent auprès d’Harry. Peut-être que c’est en partie le souci, qu’à force de lui répéter qu’elle l’aime et qu’elle ferait absolument n’importe quoi pour que leur relation fonctionne, les mots ont perdu de leur valeur ou de leur sens aux yeux du musicien. Agnes ne sait pas vraiment ce qu’elle ne fait pas correctement, mais pour elle, le geste désespéré de venir à Londres est celui de la dernière chance.

- And how is Earls Court ? You’ll have to have me over too someday, cups be damned…