fashionably late | Harry

Rose n’est pas facile, cela est vrai. En même temps, Harry ne lui a pas vraiment facilité la tâche non plus. Jeune garçon dissipé, obsédé par la musique, adolescent gauche et mal assuré dans un monde ou l’argent manquait, peu à même de comprendre pourquoi il ne pouvait pas laisser libre court a toutes ses envies créatives et à ses rêves d’écoles de musique, il n’a pas laissé passer une situation de famille complexe. Enchaînant les traumatismes, les rancœurs, grandissant plus timide et mal à l’aise qu’il n’aurait dû l’être, sans doute. Rose, comme Alice, a toujours vécu avec le sentiment qu’elle lui devait une forme extraordinaire de protection. Ni l’une ni l’autre n’était en mesure d’apporter tout ça tandis qu’il se trouvait à l’autre bout du monde. Rose réalisé sans doute qu’elle n’est pas éternelle et que bientôt, il ne restera finalement plus grand chose à Harry ici, à Londres. Alors qu’il s’est trouvé des amis - et une famille, aussi - à New-York. C’est la toute l’ironie de la situation, et parfois, Harry se demande s’il aurait réagi de la même manière sans l’égoïsme de Rose pour lui dicter qu’il avait totalement raison. Finalement, Alice n’est pas vraiment de meilleur conseil. Sa meilleure amie ne porte pas Agnes dans son cœur et Harry n’a sans doute pas aidé, avec ses doutes et ses remises en questions permanents.

- I know yes, about the uneasy part of course, the charming part is completely up to your blinded love I guess, il plaisante également puisqu’elle a l’air d’humeur taquine.

Il est vrai qu’il a souvent remis en question l’amour inconditionnel que lui porte Agnes, allée jusqu’à tout tenter pour leur restructurer une vie à deux plus confortables pour lui. Souvent, Harry a l’impression que c’est irréel. Personne ne l’a jamais comme Agnes l’aime, lui qui n’était qu’un jeune serveur dans un café local quand elle l’a rencontré. Il était presque transparent - si ce n’est qu’il passait sa vie à casser des tasses et à faire râler les clients. Mais elle l’a vu, et pour une raison qui lui échappe encore aujourd’hui, elle refuse obstinément à renoncer à lui. Il n’a jamais eu l’impression de mériter ses efforts. Il n’a jamais eu la sensation de pouvoir lui rendre ce qu’elle lui offrait comme ça, sans rien dire, sans contrepartie. Même aujourd’hui, Harry pense qu’il ne comprendra jamais pourquoi elle l’aime comme ça. Son amour à lui fait sens, il est emprunt de tendresse, de désir et d’admiration, d’adoration parfois. Elle est belle et talentueuse, libre, généreuse, attentionnée et solaire. Autant d’attributs qui contrastent avec la transparence qu’Harry s’attribue inlassablement. Lui qui en plus, comme Rose, est pénible.

Quand elle fait part de sa dépression, Harry quitte ses pensées pour revenir à l’instant. Dans l’appartement d’Agnes entouré de ses meubles, de photos, de cette déco personnelle et chaleureuse. Comme elle.

- It’s a nice place indeed. I hope London will cheer you up — if it stops raining though. For now, it’s a bit tough…

Il jette un œil par la fenêtre et hausse une épaule quand elle lui demande comment est le quartier où il vit.

- I hate it there, it’s such a weird place. It’s the border between luxury hotels and crappy flats. But I can’t afford much more than this for now - the crappy flats I mean. Let’s hope phantom will allow me to move. I’d love to live in Notting Hill but you shouldn’t be too surprised about this…

Il soupire, la dernière conversation qu’ils ont eue sur Notting Hill n’était pas très joviale.

- You can definitely come around though. Just tell me when so I can clean a bit… well the cups….

Il glisse une main dans ses cheveux, un peu embarrassé, pas certain de ce qu’il doit faire.

- When is your opening night then?

Agnes sourit, mais la remarque d’Harry est une illustration parfaite de la dynamique néfaste qui ombre leur relation depuis des années. Harry est persuadé que l’amour d’Agnes ne repose pas sur des bases logiques, que son affection n’est que le fruit d’une illusion qui ne manquera pas de se briser un jour, les déchirant une fois de plus. Seulement, si on aurait pu se faire cette réflexion lorsqu’ils sont tombés amoureux il y a dix ans, dans les beaux quartiers de Londres où elle travaillait pour quelques semaines, c’est une décennie qui s’est écoulée depuis et Agnes trouve cette analyse presque injuste tant elle manque de souligner les nombreux moments où au fil de sa carrière et des épreuves de la vie, elle s’est reposée sur le soutien sans faille de son fiancé. La décision de l’emmener changer de vie à New York après trois semaines à batifoler dans les rues de Londres était certes impulsive, mais sa décision de l’épouser elle, était plus que mûrement réfléchie. Agnes ne se voit pas continuer à vivre comme si de rien était sans Harry.

- My love isn’t blinded, you’re really cute especially with the glasses, and you were a supportive partner all those years. I wouldn’t have gone though all the crap I’ve been through without my clumsy latte boy to tell me I could do anything I would set myself to do. I know that, you’re the one who doesn’t actually !!

Elle rit et lui tapote l’épaule, mais au fond elle aimerait qu’il prenne conscience de leurs divergence d’opinion sur le sujet. Une divergence qu’Agnes ne peut pas attribuer à un manque de communication de sa part. Elle lui a répété, jusqu’à perdre patience parfois et aujourd’hui, la taquinerie garde un goût amer malgré tout.

- I don’t mind the weather. You can always snuggle up with sugary drinks and a blanket. It’s obivously much better if you let me do that with you, but it’s up to you naturally…

Agnes se sent seule ici à Londres dans le petit appartement qu’elle a loué. Elle ne connaît pas grand monde, et sa rupture avec Harry est finalement assez récente. La comédienne n’a pas eu le temps de s’habituer à la solitude et les marques d’affection d’Harry lui manquent terriblement. Elle se se remémore d’ailleurs régulièrement la sensation de ses lèvres contre son épaule, les tons chaleureux de sa voix grave quand il lui chuchote quelques mots à l’oreille… Elle aurait pu chercher cette affection ailleurs, sans doute l’aurait elle trouvé si elle avait daigné chercher, mais c’est surtout la présence sécurisante et familière d’Harry qu’elle regrette.

- Maybe your Anna Scott will live with you there if the stars align someday ? She’d love that.

Agnes lui jette un regard profond, comme si elle cherchait à lire ses pensées, mais c’est impossible. Harry a toujours l’air perdu dans une réflexion dont il a lui même perdu le fil en se laissant rêver.

- My opening night is in three weeks. Yours ?

Elle s’approche doucement de lui et l’attire à elle pour le serrer contre elle, incapable de supporter la distance qu’ils s’imposent pourtant tous les deux. Agnes respire son parfum, mais ne lui rend pas sa liberté tout de suite, le gardant contre elle quelques minutes.[/color]

Sa plaisanterie ne passe pas vraiment, Harry le voit aux traits tristes d’Agnes. Il se sent un peu coupable de l’avoir ainsi torturée encore un peu plus. Il aimerait vraiment avoir une personnalité plus simple - il l’a dit à Rose, tout à l’heure, au dîner. Rose qui n’est pas d’une opinion très objective le concernant. Rose qui ferait n’importe quoi pour le garder ici, qui fatigue un peu. Elle l’aime trop, ce n’est pas de sa faute. Elle a peur qu’il s’en aille de nouveau. Mais Harry sait que sa Grand-mère a perdu en objectivité avec les années. Avant, elle aurait fait passer son bonheur à lui avant toute chose ; aujourd’hui, elle préfère ne pas être trop du côté d’Agnes au cas où cette impulsion causerait sa perte. Harry n’est pas fin psychologue, mais il n’est pas idiot non plus, il sait à peu près ce qu’il en est.

- I’m sorry, il murmure en caressant sa joue du bout des doigts. I know I cause you lots of pain. I didn’t mean to.

On ne peut pas dire qu’Agnes fasse des secrets sur sa volonté. Elle est plutôt claire et affirmative, et Harry doit bien lui reconnaître ça. Seulement, il ne sait pas vraiment quoi dire, ou quoi faire. Il faudrait qu’ils aient une énième conversation sur leur relation pour être raisonnables et ne pas simplement se remettre ensemble parce qu’ils se manquent. Il n’est pas sûr d’en avoir envie. Quelque part, peut-être que Phantom va régler l’ensemble de ses problèmes. Il gagnera suffisamment d’argent pour qu’ils s’installent ensemble à Londres, fin de la discussion, fin des problèmes.

- You’d love that ?

Il la regarde avec tendresse, sa main caressant toujours sa joue.

- A beautiful blue house in Notting Hill? With blue shutters and plants. And cats, obviously, we can’t forget the cats.

Il s’éloigne finalement et le sujet dérive sur leurs openings. Il s’est rarement senti autant stressé. Cette scène, ce monde qui s’ouvre à lui sur le tard, il a peur de ne pas être à la hauteur. Il se tait, cela dit, car il ne veut pas qu’elle ait l’impression qu’il se complait dans une espace de dépréciation permanente, ce qui est sans doute le cas.

- In two weeks. Actually, they’re releasing the new cast tomorrow.

Il sourit, et hausse une épaule.

- I’m so scared.

Agnes s’approche pour le serrer dans ses bras. Il ferme les yeux, et caresse son dos tendrement, le coeur battant à vive allure.

- Is it worth it, Agnes? With all the pain I’ve caused you...

Il soupire, et baisse la tête. Ses lèvres se déposent contre la peau de son épaule. Il se sent faible, et il l’aime tellement. Son coeur pourrait exploser tellement il l’aime.